Adoption plénière de l’enfant par l’épouse de la mère : un contentieux persistant

03.04.2025

Droit public

L'adoption plénière de l'enfant du conjoint, lorsque seule sa filiation avec ce dernier est établie, nécessite son consentement, qui peut être rétracté dans un délai de deux mois. La caducité du consentement résultant de la restitution de l’enfant qui a été recueilli mais non placé, n’est pas applicable à l’adoption de l’enfant du conjoint. En conséquence, passé le délai de deux mois, l’opposition de la mère ne lie pas le juge.

L’affaire est après d’autres, l’illustration d’un contentieux fréquent entre des femmes qui se sont engagées dans un projet parental, réalisé par le biais d’une assistance médicale à la procréation (AMP) pratiquée ouvertement à l’étranger ou discrètement en France, avant la loi du 2 août 2021. La voie de l’adoption de droit commun s’avère semée d’embûches en cas de mésentente du couple. 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

Deux femmes se sont mariées le 3 septembre 2016. Le 11 décembre de la même année, l’une d’elles donne naissance à un enfant conçu probablement par AMP dans le cadre d’un projet parental commun forgé avant le mariage. A l’époque, l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple était réservée aux époux (c’était avant la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption qui l’a étendue aux partenaires et aux concubins), de sexe différent ou de même sexe (c’était après la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage, et par ricochet l’adoption, aux couples de personnes de même sexe, et après les avis de la Cour de cassation considérant que le recours à une AMP à l’étranger ne faisait pas obstacle au prononcé de l’adoption ; Cass. avis, 22 sept. 2014, n° 15010, n° 15011, D. 2014, p. 2031, note A.-M. Leroyer, JCP 2014, 1004, note J. Hauser, AJ Famille 2014, p. 555, obs. F. Chénedé, Dr. famille 2014, comm. 160, note C. Neirinck, RJPF 2014-11/24, obs. T. Garé). Par acte notarié du 3 juin 2019, la mère a consenti à l’adoption, dont le prononcé a été sollicité par son épouse le 3 septembre 2019. Mais sans doute en raison d’une mésentente au sein du couple, la mère s’est opposée ensuite à cette adoption. Celle-ci a été néanmoins prononcée par les juges de première instance, décision confirmée en appel. La mère s’est pourvue en cassation. Elle fait grief à l’arrêt attaqué de rejeter la rétractation de son consentement et de prononcer l’adoption plénière de l’enfant alors que selon elle, « l’opposition, par le parent biologique, à l’adoption de son enfant par son conjoint équivaut à une demande de restitution de l’enfant, laquelle doit être accueillie de plein droit, bien que formulée postérieurement au délai de rétractation de deux mois, lorsque l’enfant n’a été ni placé en vue de l’adoption, ni recueilli par le conjoint qui refuse de le rendre ». Toujours selon elle, la cour d’appel devait accueillir de plein droit sa demande de restitution de l’enfant, conformément à l’article 348-3 du code civil, sans avoir à prendre en considération l’intérêt de l’enfant, dès lors que celui-ci n’avait pas été placé en vue de l’adoption.

Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation rappelle d’abord qu’en vertu de l’article 345-1, 1°, du code civil dans sa version applicable en l’espèce (c’était avant la recodification opérée par l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022), l’adoption plénière de l’enfant du conjoint n’est permise que dans certains cas limitativement énumérés, en particulier lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint. La Cour de cassation signale que ce texte est devenu l’article 370-1-3, 1° du code civil. L’indication peut paraître superflue puisque cette disposition n’est applicable qu’aux instances introduites à compter du 1er janvier 2023, mais elle attire l’attention sur la création d’un chapitre créé à l’occasion de cette recodification et consacré spécialement à « l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple » (C. civ., art. 370 à 370-8).

La décision est fondée sur les articles 348-1 et 348-3 du code civil, également dans leur version applicable. En vertu du premier, l'adoption plénière requiert le consentement du parent à l’égard duquel la filiation est établie. Et le second prévoit que ce consentement peut être rétracté pendant un délai de deux mois. Il ajoute cependant dans un alinéa 4 que « Si à l'expiration du délai de deux mois, le consentement n'a pas été rétracté, les parents peuvent encore demander la restitution de l'enfant à condition que celui-ci n'ait pas été placé en vue de l'adoption. Si la personne qui l'a recueilli refuse de le rendre, les parents peuvent saisir le tribunal qui apprécie, compte tenu de l'intérêt de l'enfant, s'il y a lieu d'en ordonner la restitution. La restitution rend caduc le consentement à l'adoption ». C’était le grief principal invoqué par la mère pour tenter de s’opposer à l’adoption malgré l’absence de rétractation de sa part dans le délai de deux mois, en prétendant que son opposition équivalait à une demande de restitution. Le moyen est rejeté. La Cour de cassation estime que cette disposition « qui présuppose que l'enfant a été remis à un tiers, n'est pas applicable à l'adoption de l'enfant du conjoint ».  Elle en déduit « qu'à défaut de rétractation de son consentement à l'adoption de son enfant dans le délai légal, l'opposition du conjoint ne lie pas le juge, qui doit seulement vérifier que les conditions légales de l'adoption de l'enfant sont remplies et si celle-ci est conforme à son intérêt ». Elle en conclut que les juges ont pu souverainement estimer, que malgré la séparation de l’adoptante et de la mère de l’enfant et en dépit de l’opposition de cette dernière, l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant et pouvait être prononcée.

Confirmation : la mère ne dispose que d’un délai de deux mois pour rétracter son consentement à l’adoption

L’affaire en rappelle en tous points une autre dans le cadre de laquelle la Cour de cassation a eu l’occasion de poser le principe qu’elle reprend ici (Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-23.242 ; D. actualité 19 sept. 2023, obs. L. Gareil-Sutter, 2024, p. 700, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2023. 421, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 858, obs. A.-M. Leroyer ; Dr. fam. 2023, n° 11, Etude 27, A. Gouëzel ; LEFP 2023, n° DFP201t2, obs. A. Batteur ; LPA oct. 2023, p. 61, note B. Meite). Les circonstances étaient quasiment identiques. Le fondement textuel de la décision est le même, pour parvenir à la même conclusion : à défaut de rétractation dans le délai de deux mois, l’opposition de la mère ne lie pas le juge. L’adoption avait été également prononcée.

La solution a été généralement approuvée par la doctrine. Sa conformité aux textes n’est guère discutable, l’article 348-3 du code civil qui prévoit le délai de rétraction de deux mois figurant dans un chapitre traitant des conditions de l’adoption plénière en général et de celles de l’adoption du conjoint en particulier (C. civ., art. 345-1 anc.). Rien ne permettait de déduire une exclusion quelconque de cette disposition dans le cas particulier de l’adoption de l’enfant du conjoint. La solution ressortait déjà d’un arrêt antérieur de quelques semaines, sur fond de circonstances plus complexes dans lesquelles l’enjeu était davantage la question de la pérennité du consentement de la mère dans le cadre d’une instance en divorce, que celle de sa rétractation (Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737 ; D. actualité 5 juin 2023, obs. M. Mesnil ; AJ fam. 2023. 337, obs. F. Eudier ; ibid. 302, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 606, obs. A.-M. Leroyer ; Dr. fam. 2023, comm. 124, note V. Egéa ; RJPF 2023, n° 7-8, obs. J. Boisson). Il n’empêche qu’à cette occasion, la Cour de cassation avait déjà invoqué au fondement de sa décision les dispositions de l’article 348-3 du code civil et n’avait émis aucun doute sur l’applicabilité du délai de rétractation de deux mois dans le cas d’adoption de l’enfant du conjoint.

D’ailleurs le nouveau chapitre traitant spécialement de l’adoption de l’enfant pas l’autre membre du couple, auquel la Cour de cassation semble vouloir faire une allusion pédagogique, précise en exergue (C. civ., art. 370) que les dispositions des chapitres 1er à III du présent titre sont applicables en principe à l’adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin, sous réserve de dispositions particulières et de quelques exceptions (C. civ., art. 351, art. 352, art. 352-1 et 353). Ne figure pas au rang des exceptions l’article 348-5 du code civil dans lequel siège désormais le droit de rétractation dans le délai de deux mois. Malheureusement, n’y figure pas non plus la disposition qui prévoit la caducité du consentement en cas de restitution de l’enfant non placé (C. civ., art. 348-5, al. 2) que prévoyait l’article 348-3 alinéa 4 applicable en l’espèce, dont la Cour de cassation exclut néanmoins la transposition dans le cas d’adoption de l’enfant du conjoint. 

Précision : passé le délai de deux mois, l’opposition de la mère n’équivaut pas à une demande de restitution

Il faut bien avouer que la logique textuelle est ici à la peine pour expliquer qu’il y a lieu d’exclure l’application d’un alinéa du texte même dont vient de transposer un alinéa précédent. Et elle le serait encore davantage dans le cadre du nouveau chapitre relatif à l’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple, puisque l’article 370 n’excepte pas l’application de l’article 348-5 du code civil. Il s’agit sans doute d’un oubli, les dispositions particulières du chapitre concerné ayant eu principalement pour objet d’adapter les conditions et les effets de ce genre d’adoption intrafamiliale. La procédure a été quelque peu négligée.

Et l’on voit qu’elle a pourtant son importance. Car à l’évidence, la possibilité donnée au(x) parents(s) de saisir le juge pour demander, au-delà du délai de deux mois, la restitution d’un enfant pour lequel ils ont consenti à l’adoption et qui a été accueilli par un tiers, ne correspond pas à la situation dans laquelle est envisagée l’adoption de l’enfant du conjoint. Le conjoint n’est pas un tiers comme les autres. Par hypothèse, la situation est incompatible avec un quelconque recueil de l’enfant par celui qui n’en est pas le parent, soit en raison de la communauté de vie soit même en cas de séparation parce que l’objectif n’est pas d’aboutir à un placement de l’enfant en vue de son adoption et de tester préalablement les qualités et la volonté de l’adoptant dans le cadre d’un accueil. Les textes (art. 348-3 al. 4 applicable en l’espèce ou 348-5 al. 2 nouv.) posent en effet une condition à la demande de restitution : encore faut-il que l’enfant n’ait pas été placé en vue de l’adoption. Or la notion de placement, plus encore que celle de recueil, est totalement étrangère à l’adoption au sein d’un couple. Et sur ce point le nouvel article 370 est clair puisqu’il excepte de façon explicite l’application de toutes les dispositions qui dans le cadre de l’adoption générale ont trait au placement (spécialement l’art. 352 qui interdit le placement en cas de demande de restitution).

On ne saurait trop s’étonner de ces approximations nécessitant l’interprétation de la Cour de cassation si l’on veut bien se souvenir comment l’adoption intrafamiliale est apparue et la façon dont elle a été utilisée, d’abord pour permettre au beau-parent de trouver une place que la loi ne lui donnait pas, puis pour permettre aux couples de femmes ayant eu recours à une AMP de construire une parenté que la loi leur interdisait (sur l’ensemble de la question, P. Salvage-Gerest, Adoptions intrafamiliales et assimilées, in Droit de la famille, Dalloz Action, 2023-2024, n° 225.00 s.). De détournement en détournement, le législateur s’est contenté de suivre, et d’ajuster au mieux le droit de l’adoption à des finalités pour lesquelles il n’avait pas été conçu (sur ce constat de l’inadaptation du droit à l’adoption coparentale, H. Bosse-Platière, M. Schulz, Filiation adoptive, Adoption coparentale, Adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin, JurisClasseur Civil Code, Art. 343 à 370-2, Fasc. 24, spé. § 23).

Sous-entendu : un projet parental est un engagement

A la suite des arrêts précités du 11 mai et du 12 juillet 2023, les commentaires ont généralement souligné la sévérité qui en résultait pour la mère ou plus largement pour le parent ayant consenti à l’adoption de son enfant par son conjoint, partenaire ou concubin. En prenant soin néanmoins de relativiser, et cela reste vrai à la suite du présent arrêt. La Cour de cassation insiste, en l’absence de rétractation dans le délai, sur le pouvoir d’appréciation dont le juge est investi, quant aux conditions de l’adoption d’une part, et quant à sa conformité à l’intérêt de l’enfant d’autre part. Et ces réserves ne sont pas anodines.

Car au rang des conditions de l’adoption, il y a l’existence et la survivance du couple dans le cadre duquel l’adoption est envisagée. L’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple suppose qu’au moment de prononcer l’adoption, le couple existe toujours. Autant dire que pour les partenaires et plus encore pour les concubins, le délai de rétractation n’a pas grande signification, puisqu’il suffit que le couple se sépare et plus clairement que la mère rompe, pour que les conditions de l’adoption ne soient plus remplies. Si sévérité il y a, c’est donc surtout à l’égard de la femme mariée non divorcée qui a consenti à l’adoption de son enfant, ce qui néanmoins représente sans doute bon nombre de cas, pour la période allant de 2013 à 2021 pendant laquelle le mariage était devenu possible mais restait la voie obligée pour les couples de femmes désirant réaliser un projet parental.

Par ailleurs, quand bien même les conditions de l’adoption seraient remplies, le juge conserve in fine un pouvoir souverain, pour apprécier si le prononcé de l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant. Assurément, la mésentente du couple ne sera pas ignorée. Mais généralement, elle n’est pas considérée comme suffisante pour rejeter la demande d’adoption. Les juges estiment le plus souvent que l’intérêt de l’enfant est de voir respecter l’engagement parental qui a été pris (Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° n° 20-16.745, AJ fam. 2022, p. 43, obs. F. Berdeaux, RTD civ. 2022, p. 107, obs. A.-M. Leroyer ; CA Aix en Provence, 23 nov. 2023, AJ fam. 2024, p 41, obs. J. Houssier).

Cette sévérité est-elle excessive, comme l’ont laissé entendre beaucoup de commentateurs ? C’est relatif. Il n’y a pas grand-chose de commun entre la situation dans laquelle un (ou des) parents consentent à l’adoption de leur enfant par un tiers et celle dans laquelle un parent consent à l’adoption de son enfant par son conjoint ou partenaire (si ce n’est la forme qui entoure le recueil du consentement, C. civ. art. 348-3, C. pr. civ., art. 1165). A dire vrai, les situations sont même radicalement opposées. La première est souvent un déchirement, qui justifie l’octroi de délais de réflexion et de possibilités de rétractation ou d’opposition. La seconde est un projet de vie qui justifie que l’on attende une certaine responsabilité parentale de la part de ceux qui s’engagent et une réflexion ayant précédé leur décision. S’agissant des couples de femmes, depuis la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, l’évolution a été en ce sens.

Une jurisprudence appelée à se raréfier ?

C’est probable et souhaitable. Pour les couples de sexe différent, le contentieux que soulève l’adoption de l’enfant de l’autre ne semble pas très abondant ou plus exactement il se noue ailleurs (parce que l’adoption est le plus souvent une adoption simple et que ce sont les demandes de révocation qui occupent les tribunaux). Pour les couples de femmes, on peut penser que le contentieux illustré par le présent arrêt est lié à une période déterminée et qu’il devrait se raréfier avec le temps. Désormais, le dispositif de reconnaissance conjointe anticipée créé par la loi du 2 août 2021 (C. civ., art. 342-11) est précisément destiné à éviter le détour par l’adoption. Et les femmes ayant eu recours antérieurement à une AMP pratiquée à l’étranger (mais pas en France) ont disposé d’un délai allant jusqu’au 4 août 2024 pour effectuer devant notaire une reconnaissance conjointe de rattrapage (article 6, IV, al. 1, L. 2 août 2021). En cas de refus de la mère de procéder à cette reconnaissance, la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, visant à réformer l’adoption, a prévu un mécanisme permettant « à titre exceptionnel » à la femme qui n’a pas accouché de demander l’adoption de l’enfant (avec cette différence que l’on est dans une situation où la mère refuse la reconnaissance et n’a jamais consenti à l’adoption). Ce dispositif était également enfermé dans un laps de temps limité qui a expiré le 21 février 2025. Il n’est donc pas exclu que l’adoption de droit commun reste encore la seule voie possible pour des couples de femmes qui, pour des raisons diverses, seront passées à travers les mailles des nouveaux dispositifs (sur ce point, H. Bosse-Platière, M. Schulz, Filiation adoptive, Adoption coparentale, Adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin, préc., § 45).

Jean-Jacques Lemouland, professeur des universités, CERFAPS (EA 4600 Université de Bordeaux)
Vous aimerez aussi

Nos engagements